Spéciale Jojo

Tout d’abord je vous préviens, âmes sensibles, s’abstenir! Et par âmes sensibles, j’entends esprits mâles et virils, qui n’envisagez pas d’adresser la parole à votre progéniture ou à celle des autres avant que ces petites créatures n’aient atteint l’âge canonique de 18 ans, et méprisez câlins, gouzi-gouzi, extases devant les mots des petits et leur pipi dans le pot réussi… En effet, cet article est celui où ma fière maman veut vous faire part de mes progrès, de mes bons mots et autres inventions… Alors je vous le redis, vous les sans-cœur, éloignez-vous, et allez donc relire la passionnante description de notre nouvel appartement…

Donc me voici, Jojo, 18 mois la semaine prochaine, et un nombre considérable de dents à mon actif (impossible de compter. Je mords quand on essaie. Une vingtaine en gros.).

J’ai raté quelques étapes cruciales dans mon développement : en particulier, je ne sais toujours pas marcher, je ne sais que courir. Je ne dis toujours pas Maman non plus, ou plutôt je l’ai dit à une époque (rarement, et durant quelques jours seulement), mais maintenant je trouve beaucoup plus simple d’appeler mes 2 parents “Papa”.

Ma vie en Inde, que je parais apprécier énormément, m’amène à développer une tendance à l’autocratisme, que mes parents essaient vaillamment de combattre. Mais que peuvent-ils devant cet océan de gentillesse et de dévouement que constitue mon trio de cœur: Bigit (Brigitte mon ayah), Bigit (Julie la femme de ménage. Je l’appelle aussi Bigit, c’est plus simple et j’aime la simplicité) et Fédi (Freddy notre chauffeur) ? Ils se mettent en douze pour satisfaire mes moindres désirs ! Et je le sais ! Il n’y a que Brigitte qui fasse de faibles efforts d’éducation. Tenez, un exemple : quand mes parents sortent le soir, vous pouvez être sûrs que je ne dormirai pas avant leur retour. Si Brigitte me garde, je pousse des hurlements dans mon lit jusqu’à ce qu’elle me relève – elle résiste en moyenne 30 minutes. Si c’est Sheela, la femme de Freddy, j’utilise la même méthode, en sachant qu’elle, elle ne résiste que 30 secondes… Et dans la journée, au moindre souci je gémis”Bigit”, et suis sûre de me retrouver dans les 15 secondes avec un biscuit au chocolat bien gras dans la bouche pour calmer mes douleurs et autres frustrations. Alors qu’avec les parents, je peux rêver…

Bigit, passe-moué une bière, que j’ai pas à sortir de l’eau !

 

Non là, je n’irai pas me coucher, parce que si t’as pas encore compris, je suis en train de regarder la télé…

La télé, parlons-en… mon papa l’a achetée pour occuper ma maman pendant son repos forcé… en fait elle la regarde rarement, par contre moi je réclame la ”Buzi” (musique) 10 fois par jour. Ma méthode est infaillible :

• Je demande à monter sur le lit des parents en disant “upper” (non, je ne parle pas français).
• Je pique les 4 oreillers du lit pour m’installer dessus, y compris ceux qui pourraient être occupés à caler le dos de ma maman-baleine.
• Je m’adosse confortablement, les pattes écartées, et je réclame la “Buzi”.
• Ensuite je réclame un changement de chaîne systématique en répétant “Buzi” tant que Maman ne m’a pas branché sur une bonne musique indienne avec choré kitsch intégrée. Elle a beau essayer de me trouver des dessins animés, rien n’y fait, je préfère le Bollywood spirit.
• Et pour finir, j’essaye d’imiter les chorés en question en effectuant des sauts de carpe sur le lit. Je progresse pas mal… Maman est très fière de mes talents de gymnaste, et en général ça finit en partie de chatouilles avec elle.

Mais ne vous inquiétez pas, Maman ne cède pas à tous les coups non plus, pour le coup de la “buzi” !

Mais je ne passe pas mes journées devant la télé ! Car figurez-vous que je ne sais pas comment ça se passe en France, mais en Inde, l’enfant expatrié, qui est nécessairement un petit Einstein, a un fou besoin d’activités d’éveil dès l’âge de 6 mois, et doit absolument apprendre chaque jour à danser, jouer d’un instrument, monter à cheval ou faire de la peinture sur porcelaine. Mes parents ne sont pas fans de cet esprit, mais moi, peut-être par mimétisme de mes petits camarades expats, je déteste l’inactivité. Mais je ne suis pas encore inscrit en langues orientales à la Nehru University, et Maman, Bigit et Bigit font avec les moyens du bord…

Donc mes activités préférées sont…

En premier lieu, la piscine ! Que j’appelle “Belo”, d’ailleurs je donne ce nom à tout élément liquide, quelque en soit le contenant. J’essaie même de mettre la tête sous l’eau, mais c’est nul, Maman ne met pas assez d’eau. J’invite souvent mes petits copains à venir jouer avec moi dans ma piscine.

J’aime aussi beaucoup lire, comme Maman. si vous cherchez des ouvrages intéressants pour développer votre culture, je vous montre quelques uns de mes préférés :

Tout d’abord, le best-seller qui occupe mes pensées jours et nuits, “Five” : Car comme mon Papa, j’aime déjà les maths ! Mes parents ont cru l’espace d’un instant que j’avais appris à compter tout seul, mais non, rassurez-vous, après 186 lectures successives de mon livre de maths, je ne connais toujours que le chiffre “Five”, que j’assène d’une voix de stentor et avec l’air parfaitement sûr de moi à chaque page de l’ouvrage (qui détaille les nombres de 1 à 10).

J’aime aussi beaucoup mon livre de la ferme, mon “vroum vroum” et l’histoire du loup…

Et puis bien sûr, je lis et relis mes livres pieux ! Ma maman, qui me voit parfois évêque dans ses rêves les plus fous, avait la larme à l’œil quand je lui apportais ma bible ou mon livre de Noël…jusqu’à ce que Brigitte dénonce perfidement le fait que tout ce qui m’intéresse, c’est de trouver les “ouah ouah” à chaque page… le chien de l’arche de Noé et celui des bergers à Noël…

Ca, c’est le livre avec lequel j’essaie d’expliquer aux parents que j’ai parfaitement compris le coup du petit frère / de la petite sœur qui va arriver en août… D’ailleurs, plus question de m’appeler “le bébé”, car je sais que “le bébé”, c’est l’excroissance bizarre et remuante qui est apparue dans le ventre de ma Maman !

Grâce à tout ce que j’apprends dans les “baby-groups” (déf : réunion de Mamans qui papotent en prenant le thé, et accessoirement surveillent d’un œil distrait les ayahs qui essaient de nous inculquer des notions d’art : peinture, collage, cuisine, découpages…), je m’entraîne aussi à la maison :

et parfois, vous ne me croirez peut-être pas, mais il y a presque autant de peinture sur la feuille que sur la table / le sol / mes habits / les habits de Brigitte ou de Maman !

Alors j’ai aussi pas mal de sorties mondaines, en général déguisées. Vous me voyez ci-dessous en petit prince du Rajasthan à baskets rouges, prêt à filer à mon bal de princes et princesses, armé de mon goûter !

Et puis quand on me fiche la paix, j’aime…

• Donner un coup de main à Papa pour le bricolage… Sur cette photo, j’ai trouvé un tournevis qui traînait, donc je répare le sèche-linge… Je sais vraiment pas ce que Papa ferait sans moi !!! (il paraît qu’il était pareil quand il était petit… Estimait sa contribution indispensable à tout bricolage…)

 

• Parcourir l’appart avec ma loco de compétition… si possible tout nu. Conduire nu, j’aime ça…Du coup parfois je fais une blague aux parents : je demande à aller dans ma piscine, j’y reste 2 minutes et puis je rentre jouer dans l’appart, et m’enfuis en courant dès que quelqu’un essaie de me remettre une couche…

 

• Jouer à “Pé”, mon nouveau jeu préféré, qui satisfait mon goût pour l’ordre, la discipline…En effet il faut ranger chaque pièce à sa place en fonction de sa forme. Et moi, j’aime l’ordre, mais aussi la propreté ! Je suis un maniaque de la propreté, à tel point qu’avant chaque repas, je pointe du doigt tout relief de nourriture restant sur le plateau de ma chaise-haute en disant “dirty” ! Pas question de commencer mon assiette avant que mon environnement ne soit immaculé !

 

• Ou encore pour rigoler, faire des tentatives de pipi dans mon pot. Mais ça m’amuse plus de porter mon pot vaillamment dans tout l’appartement et de le poser dans les endroits les plus improbables, ou d’annoncer fièrement à Maman que ça y est, j’ai fait pipi, dans la couche ! Donc au jour d’aujourd’hui, nous pourrions revendre ce brave pot “état neuf” !

      

• Et enfin, faire des câlins à Papin (alias Petit Lapin) et Papin (alias Grand Lapin), mes 2 plus proches compagnons. Depuis que je sais faire des baisers (baveux), ils en sont la cible privilégiée, avant Papa, Papa, Bigit et Bigit. Et si vous êtes bien sages, je pourrais vous les prêter pour que vous puissiez les embrasser vous aussi… Encore que ce ne soit pas un cadeau… Vue l’odeur, malgré les passages réguliers en machine…

   

Voici donc un petit aperçu de ma vie indienne, comme vous le voyez je ne suis pas malheureux et surtout j’en profite à fond, avant de passer du statut de fils unique un peu trop gâté quand-même à celui de frère aîné ayant le sens des responsabilités…